O FIL DES SENS

Les émotions du tout-petit : comprendre, accueillir, accompagner

Avant même de naître, l’enfant ressent.
Dans le ventre, il perçoit les battements du cœur, les variations hormonales, les voix, les tensions. Dès les premières semaines de vie, il exprime déjà des états internes : faim, inconfort, plaisir, peur. Ces manifestations sont les prémices de ce qu’on appelle les émotions primaires.


Les émotions ne sont pas des caprices. Elles sont des réponses physiologiques et neurologiques à une situation donnée.
Les premières émotions observables chez le nourrisson sont la joie, la colère, la tristesse, la peur et le dégoût. Elles apparaissent dès les premiers mois, bien avant que l’enfant puisse les nommer ou les comprendre.
Selon les neurosciences (notamment les travaux de Catherine Gueguen et du Dr Daniel Siegel sur les neuroscience et la psychologie positive), le cerveau émotionnel – ou système limbique – est actif très tôt, mais le cortex préfrontal, qui permet de réguler les émotions, n’est mature qu’autour de 25 ans. Chez le tout-petit, il est donc normal que les émotions soient intenses, brèves et parfois déroutantes.


Un enfant de moins de 3 ans ne peut pas réguler seul ses émotions. Il vit ce qu’on appelle des “tempêtes émotionnelles” : des vagues de sensations qu’il ne comprend pas et qui l’envahissent.
Il a besoin d’un adulte pour l’aider à traverser ces moments. C’est ce qu’on appelle la co-régulation.
💡 Un parent calme, présent, qui accueille sans juger, permet à l’enfant de retrouver son équilibre.

Les émotions positives chez le tout-petit — comme la joie, la fierté, la curiosité ou l’enthousiasme — sont tout aussi fondamentales que les émotions dites “difficiles”. Elles jouent un rôle essentiel dans le développement affectif, social et cognitif de l’enfant. Lorsqu’un enfant rit, s’émerveille, ou manifeste de la tendresse, son cerveau libère des hormones du bien-être comme la dopamine et l’ocytocine. Ces expériences renforcent les connexions neuronales liées à la sécurité, à la confiance et à l’attachement. Mais pour que ces émotions s’ancrent durablement, elles ont besoin d’être reconnues, partagées et valorisées. Dire à un enfant “Tu as l’air très content !”, “Tu es fier de toi, bravo !”, ou simplement sourire avec lui, permet de renforcer son estime de soi et de l’encourager à explorer le monde avec confiance. Trop souvent, on se concentre sur la gestion des crises, en oubliant que les émotions positives sont de puissants moteurs d’apprentissage et de lien. En les accueillant pleinement, on nourrit chez l’enfant un sentiment profond de sécurité intérieure et de joie d’être au monde.

Les tempêtes émotionnelles

Chez le tout-petit se sont des épisodes intenses où l’enfant est submergé par une émotion qu’il ne comprend pas, ne maîtrise pas, et ne sait pas exprimer autrement que par des cris, des pleurs, des gestes brusques ou un retrait soudain. Ces moments peuvent survenir à la suite d’une frustration (un jouet retiré, un “non” ferme), d’un changement de routine, d’une fatigue accumulée ou même d’une stimulation trop forte. D’un point de vue neuroscientifique, le cerveau de l’enfant est encore immature : le système limbique, siège des émotions, est très actif, tandis que le cortex préfrontal, responsable de la régulation, est en construction. Cela signifie que l’enfant ne peut pas encore se calmer seul. Il vit l’émotion comme une vague qui le dépasse, sans filtre ni recul. Ces débordements ne sont ni des caprices ni des manipulations : ils sont le reflet d’un système nerveux en apprentissage. Le rôle du parent est alors crucial : en restant présent, calme, et en accueillant l’émotion sans jugement, il offre à l’enfant un modèle de régulation. C’est par cette co-régulation répétée que l’enfant apprend peu à peu à identifier, nommer, et traverser ses émotions. Chaque tempête émotionnelle est donc une opportunité de croissance, à condition qu’elle soit accompagnée avec bienveillance et sécurité.

Le parent est le modèle émotionnel de l’enfant.
Quand il nomme les émotions (“Tu es en colère parce que tu voulais ce jouet”), quand il les valide (“C’est normal d’être triste”), quand il les accompagne (“Je suis là, on va respirer ensemble”), il structure le monde intérieur de son enfant.
Ce rôle est exigeant, surtout quand le parent lui-même est fatigué ou débordé. Mais chaque geste compte : un regard doux, une main posée, une respiration lente.

🧰 Outils clés pour le quotidien
Voici quelques pratiques simples et efficaces pour accompagner les émotions :

  • Nommer les émotions dès le plus jeune âge : “Tu es frustré”, “Tu es surpris”, “Tu es content”.
  • Utiliser des livres ou des marionnettes pour illustrer les émotions.
  • Créer un coin calme avec coussins, lumières douces, objets sensoriels.
  • Mettre en place des rituels de retour au calme : respiration, bercement, musique douce.
  • Valoriser les émotions positives : “Tu es fier de toi”, “Tu es joyeux”.

Tempêtes sans refuge : les émotions non accueillies

Lorsqu’un parent ne répond pas de manière adaptée à l’émotion d’un tout-petit que ce soit par ignorance, épuisement ou maladresse ; cela peut avoir un impact direct sur le développement émotionnel et neurologique de l’enfant. Voici ce qui se passe dans son cerveau :

🧠 Une activation du stress sans régulation
Le cerveau du jeune enfant est dominé par le système limbique, siège des émotions. Lorsqu’il vit une émotion forte (colère, peur, tristesse), ce système s’active intensément.
Si l’adulte présent ne répond pas de manière sécurisante — par exemple en minimisant, en ignorant ou en punissant l’émotion — le cerveau de l’enfant reste en état d’alerte.
👉 Cela entraîne une sécrétion prolongée de cortisol, l’hormone du stress.
À répétition, cela peut perturber le développement du cortex préfrontal, la zone qui permet de réguler les émotions, de prendre du recul et de réfléchir.

Une absence de co-régulation
Les neurosciences affectives montrent que l’enfant apprend à réguler ses émotions grâce à la présence d’un adulte calme et empathique.
Quand cette co-régulation n’a pas lieu, l’enfant ne développe pas les connexions neuronales nécessaires pour gérer ses émotions seul : C’est comme si on lui demandait de traverser une tempête sans boussole.

Une fragilisation du lien d’attachement
L’attachement se construit dans les moments de détresse autant que dans les moments de joie.
Si l’enfant ne se sent pas compris ou soutenu dans ses émotions, il peut développer un attachement insécure, se replier sur lui-même, ou au contraire chercher constamment à provoquer pour obtenir une réponse.


Il ne s’agit pas de dire qu’un parent doit être parfait.
Mais quand les réponses inadéquates deviennent répétitives — cris, punitions, indifférence — le cerveau de l’enfant intègre ces réponses comme des normes relationnelles. Cela peut influencer sa manière de gérer ses émotions, de se relier aux autres, et même sa confiance en lui.
Même si les réponses n’ont pas toujours été adaptées, il n’est jamais trop tard.
Chaque moment de présence, chaque mot doux, chaque émotion accueillie répare, reconstruit, reconnecte.

Pour aller plus loin…


Pour les parents :

  • “Pour une enfance heureuse” – Catherine Gueguen
    → Comprendre les besoins émotionnels de l’enfant à la lumière des neurosciences affectives
  • “Le cerveau de votre enfant” – Daniel Siegel & Tina Payne Bryson
    → Des outils concrets pour accompagner les émotions et renforcer le lien

Pour les enfants :

  • « le livre en colère »- Cédric Ramadier & Vincent Bourgeau
  • “Aujourd’hui je suis…” – Mies van Hout (dès 2 ans)
    → Des poissons colorés pour nommer les émotions avec simplicité
  • “Petit-Bleu et Petit-Jaune” – Leo Lionni (2–5 ans)
    → Une histoire sur l’amitié, les mélanges et les sentiments
  • “Mon cœur” – Corinna Luyken (3–6 ans)
    → Un album poétique pour explorer les émotions internes

💬 En conclusion
Accompagner les émotions du tout-petit, c’est lui offrir un socle de sécurité intérieure.
C’est lui apprendre que ce qu’il ressent est légitime, que les émotions ne sont ni bonnes ni mauvaises, mais qu’elles peuvent être accueillies, traversées, transformées.
Et c’est aussi, pour le parent, une invitation à se reconnecter à ses propres émotions… avec bienveillance.

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