O FIL DES SENS

Les violences éducatives ordinaires : mieux comprendre pour mieux accompagner

Encore trop banalisées, les violences éducatives ordinaires (VEO) sont pourtant reconnues aujourd’hui comme préjudiciables au développement de l’enfant. Elles se glissent souvent dans les gestes ou les mots du quotidien : une fessée, une humiliation, un cri, une menace ou encore un isolement forcé.

Qu’appelle-t-on violence éducative ordinaire ?

Les violences éducatives ordinaires regroupent l’ensemble des violences physiques, verbales, psychologiques ou symboliques infligées à un enfant, dans un but d’éducation ou de correction, et socialement tolérées. Cela inclut, par exemple, les gifles, les tapes ou les fessées, mais aussi les cris, les menaces, le chantage affectif, les moqueries, les humiliations, ou encore la privation de repas et l’isolement utilisé comme punition.

Exemple :

🔸 Violences physiques « douces » mais marquantes

  • Tirer un enfant par le bras ou l’oreille pour le faire obéir.
  • Taper sur la main pour empêcher de toucher quelque chose.
  • Donner une petite tape sur les fesses ou la tête, en disant « c’est pour que tu comprennes ».
  • Secouer l’enfant légèrement par frustration, en disant « tu m’énerves ! ».

🔸 Violences verbales déguisées en éducation

  • Dire à un enfant : « Tu n’es pas gentil », « Tu es méchant », ou « Tu fais honte ».
  • Utiliser le chantage affectif : « Si tu continues, maman ne t’aimera plus ».
  • Comparer : « Tu vois, ta sœur elle, elle obéit ! ».
  • Menacer : « Si tu pleures encore, je te laisse là », ou « Si tu ne ranges pas, pas de dessin animé ce soir ».
  • Ridiculiser ou rabaisser : « Arrête ton cinéma », « Tu fais ton bébé », « Tu pleures pour rien ».

🔸 Violences psychologiques banalisées

  • Ignorer l’enfant volontairement comme punition (« je ne te parle plus »).
  • L’envoyer au coin sans explication ni retour, parfois longtemps.
  • Refuser de consoler un enfant en colère ou triste (« tu n’avais qu’à pas faire ça »).
  • Dire : « C’est bien fait pour toi » après une chute ou un accident.

🔸 Humiliations « publiques » ou normalisées

  • Se moquer de l’enfant devant d’autres (« T’as vu comment il pleure pour une bêtise ! »).
  • Parler de l’enfant négativement devant lui comme s’il n’était pas là.
  • Utiliser le regard des autres comme menace : « Tout le monde te regarde, tu as honte hein ? ».

🔸 Comportements qui ignorent ses émotions ou besoins

  • Forcer à faire un bisou à un adulte (« Allez, fais un bisou à mamie sinon elle sera triste »).
  • Obliger à finir son assiette (« Tu ne sortiras pas de table tant que tu n’as pas tout mangé »).
  • Ne pas respecter ses peurs (« Ce n’est rien, arrête, il n’y a pas de monstres ! »).
  • Lui demander de se taire quand il pleure, sans chercher à comprendre.

💡 Pourquoi ces gestes ou paroles posent problème ?

Parce qu’ils enseignent à l’enfant que ses émotions ne sont pas légitimes, qu’il doit obéir par peur, et qu’il ne mérite l’amour ou l’attention que s’il est sage. Cela altère l’estime de soi, la confiance en l’adulte et l’apprentissage de la régulation émotionnelle.

Quelques repères historiques et juridiques

En 2006, le Conseil de l’Europe appelle ses États membres à interdire toutes les formes de violences à l’égard des enfants, y compris dans le cadre familial. En France, la loi n°2019-721, adoptée en 2019, interdit explicitement les violences physiques et psychologiques infligées aux enfants, y compris dans le cadre de l’éducation. Le Code civil stipule désormais que « l’autorité parentale s’exerce sans violences physiques ou psychologiques ». En 2022, un rapport du Défenseur des droits a révélé que 79 % des enfants interrogés avaient déjà été exposés à au moins une forme de violence éducative ordinaire.

Ce que disent les neurosciences sur le cerveau de l’enfant

Les recherches en neurosciences affectives et sociales montrent que le cerveau de l’enfant est encore immature, en particulier dans les zones impliquées dans la régulation des émotions comme le cortex préfrontal. Avant l’âge de 5 ou 6 ans, un enfant est donc incapable de gérer seul ses émotions intenses telles que la colère, la peur ou la frustration. En cas de cris, de menaces ou de punitions, c’est la zone du cerveau reptilien, liée à la survie, qui s’active, et non le cerveau rationnel. L’enfant ne peut donc pas apprendre dans ces conditions, et ces violences perturbent sa sécurité affective et son estime de soi.

Pour que l’enfant puisse développer ses compétences sociales et émotionnelles, il a besoin d’un adulte calme, stable et capable de réguler ses propres émotions. C’est en voyant l’autre gérer les tempêtes émotionnelles qu’il apprend à faire de même.

Conséquences possibles des VEO

L’exposition répétée à des violences éducatives peut entraîner divers troubles : des difficultés relationnelles, de l’anxiété, des troubles du sommeil, une agressivité accrue ou au contraire un repli sur soi. L’enfant peut également reproduire plus tard les schémas violents qu’il a connus, et construire une faible estime de soi, souvent dépendante du regard des autres.

Eduquer sans violence, c’est possible

Remplacer les VEO par une posture respectueuse du développement de l’enfant permet de maintenir une autorité bienveillante et efficace. Il est possible d’instaurer des repères sécurisants, de nommer les émotions que vit l’enfant et de l’aider à les accueillir. Les consignes positives, les choix limités, le recours au jeu ou à la réparation plutôt qu’à la punition sont des outils qui encouragent l’autonomie et le respect mutuel.

Changer de regard, c’est aussi changer notre langage : au lieu de dire « tu n’es pas gentil » ou « tu n’es pas sage », on peut choisir de dire « tu es capable d’être attentionné », « tu es une personne qui sait coopérer ». Plutôt que de coller une étiquette négative, on invite l’enfant à s’identifier à une image positive et valorisante de lui-même. Ce changement de formulation, inspiré des approches bienveillantes et de la pédagogie Montessori, permet de renforcer la confiance en soi de l’enfant tout en l’encourageant à progresser.

🌿 Alternatives positives aux gestes et paroles violentes

⚠️ VEO courante✅ Alternative bienveillante
« Tu n’es pas gentil ! »🗣 « J’ai vu que tu étais en colère, tu peux me dire ce qui s’est passé ? »
« Arrête de pleurer, c’est rien ! »🫶 « Je vois que tu es triste. Tu veux un câlin ? »
« File dans ta chambre ! »👂 « Tu as besoin de te calmer, viens t’asseoir près de moi quelques minutes. »
« Si tu continues, je m’en vais ! »❤️ « J’ai besoin que tu m’écoutes, je suis là pour toi. »
« Tu fais ton bébé. »🧠 « Tu as besoin d’aide, c’est normal, tu es en train d’apprendre. »
Tirer ou forcer à obéir physiquement✋ Se mettre à hauteur, poser une main douce sur l’épaule, regarder dans les yeux

Ces approches rejoignent les fondements de la pédagogie Montessori, qui repose sur la bienveillance, l’observation de l’enfant, le respect de son rythme, et la confiance dans ses capacités à apprendre et à grandir dans un environnement sécurisant. Cette bienveillance ne retire en rien l’importance de poser un cadre ferme en détaillant l’interdit et sa raison.


💡 Amorcer un changement chez l’adulte : 5 clés réalistes et respectueuses

Il faut comprendre que certains comportements sont hérités d’une éducation punitive reçu, ce qui ne veut pas dire qu’on est « un mauvais parent ».
👉 C’est un premier pas vers le changement, et cela mérite d’être salué.

Quand la colère monte, il est légitime de se sentir dépassé. Il est préférable d’apprendre à faire une pause avant de réagir.
👉 Respirer profondément, boire un verre d’eau ou dire à l’enfant : « Je suis énervé, je prends une pause pour ne pas crier » est déjà un acte éducatif puissant.

📖 Lire des livres ou suivre des ateliers sur l’éducation bienveillante, Montessori ou les neurosciences aide à remplacer les automatismes par des outils plus respectueux.
(Ex. : Isabelle Filliozat, Catherine Gueguen, André Stern…)

👥 Partager ses difficultés avec d’autres parents, une professionnelle de la petite enfance ou un thérapeute permet de rompre l’isolement et de trouver des ressources.

🔁 Changer une habitude à la fois Remplacer un seul mot ou une seule réaction par jour est plus efficace que de vouloir tout changer d’un coup.
👉 Par exemple : au lieu de dire « sois sage », dire « je compte sur toi pour être respectueux » ✨


💬 Petites phrases à intégrer dans son quotidien

  • « Tu as le droit d’être en colère, et je suis là pour t’aider à la traverser. »
  • « J’ai confiance en toi pour trouver une solution. »
  • « Même quand tu fais une bêtise, je t’aime fort. »
  • « Tu es en train d’apprendre, c’est normal de ne pas y arriver tout de suite. »

Progresser, c’est déjà changer le regard. Reconnaître l’impact des violences éducatives ordinaires, c’est le premier pas vers une parentalité plus consciente, plus respectueuse, plus sécurisante pour l’enfant. Car un enfant écouté, compris et accompagné dans ses tempêtes émotionnelles est un enfant qui peut grandir en confiance.

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